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(Extrait de la feuille
de chêne n° 28)
Entre
le 25 et le 27 juillet, près de 35 km2
de garrigues et de pinèdes ont brûlé dans la Chaîne
de l'Etoile, aux portes de Marseille. En laissant de côté
les polémiques qui se sont développées au sujet des
dysfonctionnements dans l'emploi des moyens de lutte dès le début
de l'incendie, cet événement suscite quelques interrogations.
Comment le feu a t-il pu prendre une telle ampleur et parcourir une distance
de plus de 15 km, alors qu'il intéressait, sur les 2-3 premiers
km une garrigue basse de moins d'un mètre de hauteur moyenne. A
quoi ont servi les dizaines de kilomètres de piste, les nombreuses
citernes et les hectares de débroussaillement qui coûtent
si chers à la collectivité ? les vies des pompiers ont été
mises en danger, heureusement sans victime, des matériels de lutte
et des biens ont été détruits; enfin, le milieu naturel
a payé un lourd tribut.
Après
ces quelques années d'accalmie, suscitant parfois quelques réflexions
triomphalistes vis-à-vis des plans de prévention et de lutte,
force est de constater que les conditions climatiques sont les clefs de
la réussite ou du désastre. Il suffit que le mistral souffle
en été pour que beaucoup de choses soient remises en question.
Que serait-il advenu si par malheur la saison avait été très
sèche ? Les sommes investies dans les moyens de prévention
et de lutte contre les incendies ont atteint des niveaux difficilement
transgressables et avec un peu de recul, on observe qu'au cours des trente
dernières années, les surfaces moyennes annuellement brûlées
sont restées sensiblement constantes en dépit d'une forte
croissance des moyens financiers. Cet effort de déploiement d'hommes
et de matériel s'est traduit par une nette augmentation du nombre
des foyers rapidement maîtrisés. En revanche l'essentiel des
surfaces sinistrées concerne quelques grands incendies cataclysmiques
non contrôlables. Ces grands incendies se développent lorsque
les conditions météorologiques et topographiques sont défavorables
: sécheresse, vent violent et relief accidenté.
Certaines
conceptions du monde méditerranéen, nées dans les
pays anglo-saxons, considèrent que le feu est une composante naturelle
caractéristique et même nécessaire des écosystèmes.
Dans cette optique, parfois bien commode pour justifier l'impuissance,
le coûteux effort de prévention et de lutte s'apparente donc
à celui de Sisyphe, permanent et sans issue. Cette perspective,
désespérante pour les uns et fonds de commerce pour d'autres,
ne résiste cependant pas à une approche véritablement
écologique du phénomène. Comme nous l'avons brièvement
développé dans un récent texte, les choses sont moins
nettes. Des impuretés apparaissent dans le combustible moyen statistique
des modèles mathématiques, des rebelles résistent
aux prévisions établies en laboratoire ou générées
par l'électronique. Dans la science écologique, comme dans
d'autres domaines, les propriétés du tout ne sont pas une
sommation de celles des parties.
La
connaissance du passé de la végétation méditerranéenne
française montre que le feu n'est pas une composante naturelle normale
de l'écosystème et encore moins une nécessité
fonctionnelle. C'est un accident que la nature sait gérer. Par contre,
la végétation dominante actuelle, hautement combustible,
est une création artificielle générée par plusieurs
millénaires d'une action sélective des activités de
l'Homme devenu pasteur et agriculteur. La prise en compte de ces faits
incontournables permet d'envisager un avenir différent. Il ne s'agit
plus d'empêcher le dépôt d'essence de s'enflammer et
de brûler, il s'agit d'agir pour remplacer l'essence par une autre
chose moins dangereuse. L'arbre miracle incombustible n'existe pas, par
contre, certaines espèces caducifoliées adaptées au
climat méditerranéen peuvent constituer naturellement des
boisements peu combustibles, ce sont elles qui prédomineraient avant
les destructions pour les besoins humains.
L'exode
rural a libéré de vastes territoires aujourd'hui colonisés par une végétation
fortement combustible qui n'est le plus souvent qu'une étape, dans le temps,
vers le retour aux types forestiers anciens. Ces vastes territoires permettent
le développement des grands feux, d'où l'idée de réaliser des coupures
agricoles. C'est une bonne id'e, à condition que ces solutions de continuité
soient suffisamment importantes (au moins 800 à 1000 m de largeur dans le sens
du mistral) et correctement entretenues. Malheureusement, dans nos collines, en
dehors de quelques fonds de vallons, des anciennes restanques et de petites
dépressions, il n'y a pas de terrain favorable à l'agriculture ; tout ce qui
pouvait être cultivé l'a été par le passé.
L'étude
des zones incendiées montre que le feu parcourt préférentiellement
les parties où la végétation est la moins évoluée,
celle dont les fonctions écran par rapport au rayonnement solaire
et vitesse du vent sont les moins développées. Bien que le
rythme du passage du feu ait diminué par rapport au passé
(3 à 5 feux par siècle en moyenne aujourd'hui contre une
vingtaine), ces atteintes récurrentes maintiennent des groupements
jeunes très sensibles à ce facteur. Cependant, l'absence
d'exploitation par l'homme et les animaux domestiques permet l'installation
progressive de nouvelles espèces végétales et des
bastions de résistance apparaissent lorsque le stade caducifolié
est atteint sur une superficie et avec une densité suffisante. Cette
évolution est accélérée par la présence
d'arbres géniteurs à proximité et des conditions de
sol favorables. La capacité de rejeter de souche des espèces
caducifoliées est également un facteur très important.
On doit remarquer que les débroussaillements non sélectifs
ont sensiblement le même effet que le feu sur l'évolution
du couvert. Ce constat montre qu'il est important de réduire la
durée des stades transitoires jeunes, dont font partie les pinèdes
et dans une certaine mesure les jeunes chênaies de chênes vert
et liège. Il faut donc sortir au plus tôt du cycle de la végétation
inflammable et combustible régénérée par le
feu lui-même. L'absence du facteur sélectif " troupeau " tend
à s'en éloigner, mais sur un laps de temps beaucoup trop
long.
Une
action volontaire, orientant et accélérant l'évolution
vers des stades évolués nous paraît la seule solution
pour sortir de l'impasse actuelle. Hormis les reboisements expérimentaux
de l'A.R.P.C.V. (ayant entraîné à leur suite quelques
tentatives similaires et très réduites dans le massif des
Calanques), réalisés avec les moyens d'une association et
évidemment perfectibles, rien n'a été fait dans cette
voie. Il faut dire que la doctrine productiviste, focalisée sur
les résineux, a longtemps paralysé les esprits, même
à l'égard des forêts dites de protection. Aujourd'hui,
avec la prise en compte de la diversité biologique, cet obstacle
semble levé. Il n'est pas question d'intervenir partout dans ces
forêts de protection, mais sur des surfaces judicieusement choisies
en prenant compte des facteurs essentiels comme la végétation
actuelle, la qualité des sols, le relief, l'aérologie, les
trajectoires habituelles des incendies, ... Il faudra éviter d'artificialiser
les conditions d'implantation par une irrigation hypothéquant l'avenir.
Outre l'action tampon à l'égard du feu, ces surfaces serviront
de bases d'extension pour une colonisation naturelle des peuplements voisins.
Espérons que cet incendie aux portes d'une grande citée suscite une profonde réflexion sur les méthodes employées jusqu'à présent et l'ouverture vers d'autres démarches. L'oeuvre que nous préconisons demandera du temps et des efforts, mais il faut l'engager dès aujourd'hui, c'est un véritable investissement pour l'avenir qui devrait permettre déjà, dans trois ou quatre décennies, d'alléger l'actuel lourd fardeau financier ainsi que le coût biologique des destructions, jamais chiffré.