inquiète les experts |
Selon un rapport récemment présenté à Bruxelles, le quart de l'échantillon total des arbres observés a subit une défoliation de plus de 25%. Mais le European Forest Institue rejette ces conclusions et assure que la productivité des massifs augmente.
Quercus ilex (le chêne vert) et Quercus suber (le chêne liège) s'étiolent. Fagus sylvatica (hêtre) se dégarnit. Abies albia (sapin pectiné) jaunit... Le cinquième rapport annuel sur les forêts, établi par la Commission européenne, est formel : en dépit de quelques améliorations locales, "l'état d'endommagement général des forêts paraît s'aggraver".
Ce diagnostic repose sur les inventaires réalisés en 1995 dans trente pays européens, à la suite de l'alerte aux "pluies acides" du début des années 80, qui incita les gouvernements à mettre en place un vaste réseau de surveillance de leur patrimoine sylvestre. Plus de cinq mille "placettes", d'une vingtaine d'arbres chacune, ont été définies aux intersections d'un maillage couvrant toute l'Europe. Chaque été, des "notateurs" y évaluent, à vue d'oeil, l'état du feuillage.
Selon
ce rapport, présenté le 5 septembre à bruxelles, le
quart de l'échantillon a subit une défoliation de plus de
25%. Un arbre sur dix montre une décoloration de plus de 10% des
feuilles. "Environ un arbre sur cinq présente des signes de dégâts
importants", écrivent les rapporteurs. Cette proportion a relativement
peu augmenté au cours de l'année écoulée. En
revanche, de 1988 à 1995, "l'état de la couronne de presque
toutes les essences d'arbres s'est détérioré".
Toutes les régions et
toutes les essences ne sont pas également affectées. La dégradation
la plus nette est constatée dans le bassin méditerranéen
-notamment la péninsule Ibérique-, où les chênaies
ont été durement éprouvées par la sécheresse
de l'été 1995. Mais les principaux "points noirs" restent
localisés en Europe centrale - Pologne, République tchèque
et République slovaque - où la plupart des arbres continuent
de pâtir des rejets massifs de dioxyde de souffre des centrales thermiques
alimentées au lignite.
CO2
ET POLLUANT
Ce tableau alarmant semble
pourtant contredit par les résultats d'une étude de l'European
Forest Institue (EFI), présentée le 31 août à
Fribourg. Selon cet organisme, financé majoritairement par le gouvernement
finlandais, le volume sur pied des forêts d'Europe a augmenté
de 43% au cours des quatre dernières décennies.
Les experts ont déjà
observé cette accélération de la croissance des arbres
et l'attribuent volontiers à la hausse du taux de gaz carbonique
dans l'atmosphère, propre à stimuler la photosynthèse,
ainsi qu'aux émissions de polluants azotés qui, en se déposant,
fertilisent les sols. Mais certains spécialistes en ont tiré
argument, à Fribourg, pour contester les critères de dépérissement
retenus par la Commission européenne. Des chercheurs et des écologistes
allemands, auxquels a fait écho le ministre allemands de l'agriculture,
ont répondu que à leurs yeux, cette pousse plus rapide doit
être interprétée comme un "signal d'alarme" plutôt
que comme un signe de bonne santé.
Que croire ? Au delà
de la lutte d'influence, au sein de l'Union européenne, entre les
pays nordiques, tenants d'une conception "productiviste" de la forêt,
et l'Allemagne, plus soucieuse de protection, cette querelle d'experts
soulève une question.
Une interrogation porte en
effet sur l'analyse des résultats. La plupart des forestiers se
refusent des interprétations tranchées : "Paradoxalement,
une augmentation de la productivité peut aller de pair avec une
fragilité accrue de la forêt, estime Bernard Roman-Amat,
chef du département des recherches techniques de l'Office National
des Forêts (l'ONF). Un apport massif de fertilisants carbonés
ou azotés "dope" d'abord les arbres. Mais il peut provoquer un déséquilibres
nutritionnels à moyen terme."