Bilan général des plantations de l’ARPCV

 

Rappelons tout d’abord le but de nos reboisements. Comme il a déjà été exposé dans ces colonnes, il ne s’agit pas de reconstituer la végétation arborescente qui a brûlé, la nature s’en chargeant mieux que nous. Aujourd’hui, dans les zones incendiées, des jeunes pins émergent partout du chêne kermès et des argeiras, en peuplements assez souvent denses. Dans une vingtaine d’années, le paysage ressemblera à ce qu’il était en 1989 avant l’incendie, avec peut-être encore plus de pins. Ces plantes de garrigues dominées par les pins constituent un milieu idéal pour le feu qui, en dépit de toutes les précautions, ne manquera pas de survenir. La presse et la population se lamenteront à nouveau, beaucoup d’argent sera dépensé puis le souvenir du désastre s’estompera peu à peu jusqu’au prochain sinistre. Tous les étés nous rappellent malheureusement cette triste réalité. C’est pour tenter de sortir de ce cycle infernal du feu que nous essayons de court-circuiter le stade extrêmement dangereux de la pinède. Comme le montrent les études scientifiques, l’évolution naturelle peut généralement dépasser le stade pinède pour conduire vers un autre type de végétation beaucoup moins combustible. Afin d’accélérer l’évolution naturelle, nous plantons uniquement des espèces à feuillage caduc (qui se dessèche en hiver) adaptées à notre région. Plantés en forte densité, les arbres élimineront ou réduiront fortement par leur ombre les plantes de garrigue fortement combustibles, tout en améliorant les sols. Ces arbres, eux-mêmes peu sensibles au feu, vont constituer à terme un milieu auto-résistant. Si l’incendie survient avant la constitution d’un tel milieu, toutes ces espèces rejetteront de souche pour reconstituer rapidement le peuplement, sans qu’il soit nécessaire de planter à nouveau.

La réussite d’un reboisement peut se constater au bout d’une trentaine d’années. Nos premières interventions ont environ la moitié de cet âge et permettent déjà d’établir quelques constatations. Il faut également rappeler que les critères que nous prenons en compte ne sont pas les mêmes que ceux des producteurs de bois. Un boisement destiné, en priorité, à la protection contre le feu et à la restauration biologique ne saurait se juger en termes de vitesse de croissance et de mètres cubes de bois.

Taux de réussite

Le taux de survie moyen des arbres après 5 ans dépasse les 75 %, ce qui est excellent, compte tenu qu’il s’agit de plantations réalisées par des bénévoles le plus souvent inexpérimentés. Il existe des disparités liées à la nature du terrain, à la qualité des plants et aux espèces utilisées.

Le reboisement de Saint-Ser, réalisé immédiatement après le feu, présentait des conditions difficiles, notamment près de la route où le substrat argileux et stérile n’est que très difficilement reconquis par la végétation spontanée. Dans cette zone, les arbres sont morts ou se développent difficilement.

 Sur le terrain de la Légion, une parcelle complète a donné de très mauvais résultats en raison de la mauvaise qualité des plants en racines nues. Ceux-ci avaient été fournis trop jeunes et en grande partie avec les racines gelées.

Les frênes à fleurs ont totalement répondu aux espoirs avec un taux de réussite dépassant 80%. Le cormier a également donné de bons résultats. Le chêne pubescent s’est également bien comporté, qu’il s’agisse de plants ou de semis. Par contre, l’érable de Montpellier a donné de médiocres résultats. L’alisier blanc se trouve dans des conditions limites, ce qui explique une mortalité parfois tardive. D’autres espèces ont été utilisées à titre d’essai : le cytise s’est bien comporté alors que le charme-houblon a rarement réussi, malgré quelques individus de belle venue. Enfin, pour les conifères utilisés à Saint-Ser, le pin de Salzmann présente un taux inférieur à 50% tandis que le cèdre de l’Atlas a totalement échoué.

Croissance

La croissance des plants est globalement conditionnée par la fertilité du substrat. On peut remarquer que partout où la végétation spontanée est vigoureuse, les jeunes arbres ont une bonne croissance. Ceci est particulièrement net à la Légion où une parcelle, rapidement colonisée par les argeiras, l’est maintenant par des pins d’Alep à croissance rapide. De très nombreux frênes à fleurs y atteignent et dépassent 3 m, avec quelques charmes-houblons bien développés. Dans ces conditions, un entretien avec dépressage progressif des pins concurrents s’impose. À Saint-Ser, parcelle aux conditions disparates, la hauteur des arbres est bien corrélée avec la densité et la taille des végétaux naturels. Partout, le frêne à fleurs présente généralement la meilleure croissance (un individu dépasse 4 m) et, comme prévu, commence à fructifier dans les plantations les plus anciennes. Quelques individus ont subi des mutilations par les animaux et aussi par l’homme, retardant leur croissance et leur donnant un port en baïonnette.

Effet des sécheresses

La sécheresse de 2003, accompagnée de canicule, ne paraît pas avoir eut d’influence notable. Celle de cette année, encore qu’il soit trop tôt pour se prononcer, non plus. La sécheresse peut parfois entraîner la mort de la tige des jeunes plants au système racinaire encore peu développé, mais la plupart rejettent par la suite de souche. Ceci est particulièrement visible chez certains frênes à fleurs qui ont émis plusieurs tiges. En dehors de l’alisier blanc, on observe rarement la mort définitive de plants dépassant le mètre.

Conclusion

Nos plantations expérimentales donnent de bons résultats, correspondant aux prévisions. Nous possédons maintenant un recul suffisant pour apprécier les espèces les plus adaptées. À mi-parcours, la survie est assurée ; la phase d’extension du recouvrement au sol est amorcée, mais la plupart des arbres ne sont pas encore en phase de concurrence mutuelle. La croissance dans les conditions de notre milieu naturel ne peut être comparée à celle d’arbres arrosés en été et croissant sur des terrains fertiles. Les premiers pas sont lents et peu spectaculaires, mais il y a une accélération progressive. Il ne faut pas oublier que des peuplements aujourd’hui admirés, comme la cédraie du Mont Ventoux, étaient encore méprisés plus de 40 ans après leur plantation et considérés comme sans avenir. Les résultats actuels montrent que nous pouvons être confiants pour le futur de nos reboisements.

Michel Thinon

Ecologue

Membre du Conseil d’administration ARPCV