Le geai des chênes
Premier reboiseur européen

Oiseau typiquement forestier le geai des chênes entretient des relations privilégiées avec le chêne. L'arbre fourni la nourriture à l'oiseau qui, en retour, assure sa régénération sur plusieurs kilomètres. Lorsque l'espèce est protégée, l'impact sur les régénérations naturelles est énorme.

Les arbres sont des organisme immobile mais leurs aires de répartition géographique changent au cours des siècle. Prenons le cas des chênes pédonculé et rouvre. En 6000 ans, ces espèces ont recolonisé l'Europe depuis le sud de l'Espagne, de l'Italie et la Turquie (leurs refuges glaciaires) jusqu'en Scandinavie. Cela implique des vitesse de déplacement de la forêt d'environ 500m par an, soit des mouvements de 7 km par an en moyenne pour les graines si l'on admet qu'un chêne ne peut se reproduire avant une quinzaine d'années en conditions pionnière. Pourtant, les premier biologistes ayant travaillé sur la dispersion des gland pensaient qu'ils étaient disséminés uniquement par gravité et donc sur des distance très faibles. Pour expliquer la rapidité de la reconquête postglaciaire, il est donc nécessaire d'invoquer un facteur biotique. Existe-il un agent de dispersion pouvant transporter les semences viables sur plusieurs kilomètres dans un site favorable, leur assurant leur germination et survie ?

Les éthologistes ont classé les mammifères en deux groupe selon leur comportement pour la prédation et la dispersion des glands :

Les petits mammifères (campagnols, mulots, écureuils...)

Ils enterrent les graines à proximité des semenciers, ou à quelques dizaines de mètres. La cache est profonde, elle se situe souvent sous une végétation dense ou sous un obstacle tel qu'un tronc ou une pierre, empêchant toute survie d'une plantule. Leur prédation est tellement forte qu'ils réduisent en fait la dispersion des graines et peuvent même empêcher toute régénération.

Les grands mammifères (cerfs, chevreuils, sangliers, élans).

Ils se déplacent sur de grandes distances mais détruisent complètement les glands lors de leur ingestion.

Les oiseaux eux, se divisent en trois catégories :


Nous allons dans cet article nous focaliser sur le comportement de notre geai européen : geai des chênes (Garrulus glandarus). C'est un oiseau typiquement forestier de la famille des corvidés. Son écologie avec d'autres espèces proches (corbeaux, corneilles noires, choucas des tours, pies). Ces dernières occupent les milieux ouverts et dominent socialement le geai. Ils le repoussent ainsi dans les milieux boisés. Le geai est une espèce territoriale, donc nidifie isolément. Si l'oiseau n'est pas détruit systématiquement par l'homme, une densité d'un couple pour 5 hectares est normale. Il est dominant dans son territoire et en chassera tous les autres geais. Ce comportement peut être transgressé dans certaines conditions : houspillage d'un prédateur, ou lors de la recherche et du transport de nourriture en cas de disette.

Le régime alimentaire du geai

La description de la relation geai-chêne nécessite une étude fine du régime alimentaire de l'oiseau afin d'évaluer l'importance des glands dans son alimentation.

Les glands sont mangés abondamment tout au long de l'année. La consommation est maximale à l'automne (qui constitue de plus la période du stockage), puis elle décroît graduellement. Elle se maintient même lors des période pendant lesquelles il est très difficile de trouver des glands sur le sol. Cela suggère que les oiseaux se procurent grâce à leur propre stock. Après la germination, les oiseaux ne consomment plus que les cotylédons. L'oisillon commence à en ingérer très jeune dès que son plumage est complet.

Le geai sélectionneur et transporteur

Le geai ne choisit pas au hasard les glands, il les trie en fonction de leur taille, de leur forme, de l'état physiologique et sanitaire des glands. Le geai transporte préférentiellement des glands de plus de 2,5g.

A l'intérieur d'une même classe de poids notre oiseau sélectionne en priorité les glands allongés et effilés.

Il l'est choisit en priorité de couleur marron (et non vert) c'est à dire matures. Ensuite il les sonde en frappant dessus avec son bec et il ne retient que ceux n'étant pas parasités par un balanin et au péricarpe (enveloppe du gland) indemne résistant mieux aux attaques fongiques. Il ne transporte ainsi que des glands viables, aptes à la germination.

Le geai est capable d'emmagasiner plusieurs glands, quatre à sept selon les acteurs, dans son oesophage et d'en tenir un dans le bec. Ce dernier est souvent le plus gros. Le nombre transporté augmente avec la distance parcourue améliorant ainsi l'efficacité de la dispersion. En cas de fructification faible, les oiseaux recherchent dans un rayon d'une dizaine de kilomètres les rares arbres fructifères. Ils reviennent ensuite stocker les glands dans le domaine où ils nichent.

Le geai enfouit les graines en les poussant avec son bec. Si le sol est trop dur il les martèle jusqu'à leur complète disparition. Ensuite il les recouvre de terre avec son bec. S'il ne parvient pas à la cacher complètement il les déplacera dans un lieu plus propice au stockage. Il enterre seulement un glands par cache, ces dernières étant espacées régulièrement. Il va vérifier les caches plus anciennes, jusqu'à éviter qu'elles ne soient trop rapprochées ; car le choix de l'emplacement des cache obéit à des règle précises. L'oiseau recherche des zone de transition au niveau de la végétation, ce qui évite ainsi les couverts denses. Il préfère les sols motteux, mous, à ceux lisses et compacts. Pour retrouver une cache il se pose à côté de celle-ci en se repérant sur le paysage environnant puis la localise précisément à l'aide de repères verticaux et alors il l'atteint en quelques sauts. Il fouille le sol avec son bec et retrouve les glands souvent dès la première tentative. Le taux d'insuccès faible semble souvent dû à la disparition de la nourriture de fait de la prédation par d'autres geais ou par des rongeurs par exemple. Le système de localisation fonctionne même si le sol est couvert de neige.

Durant le printemps et l'été tous les glands disponibles ont germé et sont enfouis dans la végétation ou le sol. Les cotylédons reste en excellentes conditions. Il se résorbent complètement seulement au bout d'un an. Le geai exploite cette ressource alimentaire.

Influence des geais sur les chênes

Par son choix alimentaire notre oiseau favorise le chêne par rapport aux autres espèces forestières telles que hêtres, noisetiers... de plus, dans son alimentation, le geai ingère une grande quantité de chenilles défoliatrices. Ces chenilles réduisent la croissance et détruisent les fleurs femelles. Elles peuvent ainsi détruire une nouvelle glandée ou éliminer les jeunes plants, rendant aléatoire le succès des régénération.

Les glands à même le sol disparaissent rapidement sous l'effet des mulots, des campagnols, des chevreuils, des cerfs, et souffrent de la sécheresse et du froid. Le mode de dispersion et d'enfouissement des glands les protège contre toutes ces adversités. Le choix des glands fait que seul les glands mûrs, sains et résistants aux attaques fongiques sont transportés. Le gland est disposé en dessous de la litière, ce qui protège les agents de la fonte des semis et dans un terrain meuble facilitant son enracinement. Les caches sont toujours dans des zones de transition de la végétation. Cette situation évite les couverts denses empêchant toute possibilité de survie des plantules. Ces conditions de protection limitent les invasions de chenilles défoliatrices et les attaques des herbivores comme les cervidés ou les lapins. Cet abri léger assure aussi une meilleure croissance des jeunes plants. la constitution et la dispersion des caches réduisent la compétition entre les jeunes chênes. Malgré la prédation exercée par le geai, la moitié des glands enterrés donnent une plantule apte à la survie. Chaque oiseau disperse annuellement 4600 glands et lorsque l'espèce est protégée strictement, les forêts accueillent un couple tous les 5 hectares. Dans ce cas l'impact sur les régénération naturelles est énorme. Les semis effectués par notre oiseau sont facilement reconnaissables car il laisse une marque en forme de V sur le péricarpe. Grâce à cette empreinte, Bossema a montré que dans l'ensemble des régénérations naturelles contrôlées, 59% au moins des plantules sont issues de glands semés par le geai... Cette relation geai-chêne est à avantages réciproques. Le chêne fournit la nourriture de son hôte et le geai assure la régénération du chêne. Les deux espèces ont coévolué pour aboutir à un système où chacune d'elle est adaptée à l'autre.

L'action du geai sur les forêts est double : il contribue d'une part à assurer la pérennité des chênaies et d'autres part à les étendre en rendant possible leur installation dans les friches.

Extrait d'un article d'Alexis DUCOUSSO et Rémy PETIT, chercheurs à l'INRA, dans le journal Forêt-entreprise" n°68.